La Cetera, l’instrument traditionnel Corse

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Elle est l’un des instruments les plus emblématiques de la musique Corse, et certainement le plus imposant : la cetera Corse. À la recherche d’un instrument acoustique qui a du caractère et dans un souci de perpétuer la tradition, j’ai voulu me faire fabriquer cet instrument, et suis allé à la rencontre d’un des deux seuls luthiers qui la fabrique.

Je vous emmène dans mon pays…

HISTOIRE DE LA CETERA CORSE

Probablement arrivée au 17ème siècle, la cetera a été pendant plus de trois siècles un instrument majeur de la vie musicale en Corse. Avec sa forme ample et ses 16 cordes, la cetera était parfaite pour être jouée dans les événements de village, à l’occasion de fêtes patronales, mariages, baptêmes et communions.

Remplacée progressivement par la guitare et la mandoline dans la première moitié du 20ème siècle, elle est toutefois tombée dans l’oubli à tel point que son usage s’est définitivement arrêté.

Avec le mouvement du Riacquistu des années 70, elle a connu un regain d’intérêt mais le mal était fait, puisqu’il n’existait plus de joueurs de cetera et que jusqu’à l’accordage même de l’instrument s’est perdu. La musique Corse ayant toujours été majoritairement de transmission orale, comme dans la plupart des milieux ruraux, on a trouvé peu de textes témoins du répertoire ou des accords en vigueur.

Comparaison avec un cistre renaissance à droite.

Plusieurs instruments ont été retrouvés et restaurés, à l’instar d’écrits – actes notariés, manuscrits, tablatures – permettant de retracer son usage, afin de relancer sa fabrication et de pouvoir déduire quasiment avec certitude les accords qui étaient utilisés à l’époque. C’est en Haute-Corse où l’on a retrouvé le plus d’instruments, comme à Morosaglia ou Pigna. Michel Buresi a été le premier luthier à refabriquer cet instrument en 1970, suivi par Ugo Casalonga et Christian Magdeleine aujourd’hui.

Pose des 16 cordes de ma cetera, et fabrication des cordes en bronze.

LES DIFFÉRENTS ACCORDAGES

Là où les bois se conservent plutôt bien au fond d’un grenier, les cordes finissent inévitablement par se détendre et casser, tant et si bien que l’accordage s’est perdu. Toutefois on a réussi à reconstituer certains accords grâce à certains écrits retrouvés.

PREMIER ACCORD ÉTABLI – C D E♭ F G G D G

Il s’agit du premier accord établi, à partir des écrits que l’on a retrouvé. L’accord se lit des graves aux aigus. Les quatre premières notes constituent les chœurs harmoniques, et sont dont utilisés simplement pour jouer les basses. Les chœurs mélodiques suivants, similaires à d’autres instruments en Méditerranée, sont là pour les mélodies.

ACCORD RENAISSANCE – G A C D A G D E

C’est l’accord Renaissance, moins utilisé que le premier qui était plus populaire et qui correspond au répertoire des musiques classiques de l’époque, plus d’usage dans les classes hautes de la société.

OPEN TUNING DSUS – D A D A D A D G

L’open tuning est aussi d’usage, par exemple la cetera Hélios de Ugo Casalonga est accordée de cette manière, avec beaucoup d’harmoniques développées par les chœurs du bas. On est sur une configuration un peu moins modale que le premier accord établi, et des possibilités un peu plus larges.

HYBRIDE MODAL / GUITARE – D A D A D G B E

C’est l’accordage que j’ai choisi, un hybride entre une configuration modale et plus moderne. Ayant essayé la cetera de Ugo, j’ai tout de suite accroché au côté modal conféré par les chœurs harmoniques, mais souhaitais retrouver mes habilités à la guitare. Les quatre chœurs mélodiques correspondent dont aux quatre premières cordes de la guitare, de cette manière je peux retrouver mes réflexes plus facilement.

accordage cetera instrument traditionnel

Pose des 16 cordes de ma cetera, et fabrication des cordes en bronze.

CARACTÉRISTIQUES DE MA CETERA

Parlons peu, parlons matos. Je souhaitais à la fois avoir un instrument s’inscrivant dans une certaine esthétique traditionnelle, mais avec le bon compromis d’éléments modernes permettant de tirer selon moi le meilleur de la cetera dans notre contexte musical en 2018.

On est parti du modèle Hélios de Ugo, celui qui sonnait le mieux avec le fond de la caisse bombé. La table est en érable chenillé, les éclisses en poirier et le fond de la caisse en poirier, avec une bande en érable ondé. Le manche est une grande pièce de noyer, avec une touche en ébène et un filet d’érable entre les deux. J’ai voulu garder les courbes traditionnelles au bas de la touche, avec les frettes qui ne font pas toute la largeur.

Toujours dans l’esthétique, une rosace simple en 3 cercles concentriques, et surtout le parchemin au centre qui est dessiné d’après un motif présent sur le collatéral de l’église de la Canonica à Lucciana dans la plaine orientale, bijou d’architecture romane. C’est l’église de mon village… J’ai préféré des mécaniques modernes aux pignons en vigueurs à l’ancien temps, moins précis et moins durables, ainsi que les deux sillets en os avec un cordier en laiton, parfait pour la transmission des vibrations.

Les frettes sont également en laiton, qui réagit bien avec les cordes en bronze. En effet la majorité des cordes sont en bronze, exception faite des diamètres les plus fins qui nécessitent des cordes de guitare électrique, à savoir dans mon cas les chœurs de Sol, Si et Mi, ainsi que l’octave de la 2ème corde de La en partant des graves.

Enfin, ma cetera peut être sonorisée car elle possède deux cellules piézoélectriques à l’intérieur et se branche à l’attache courroie du bas, juste derrière le cordier. Dans la vidéo j’ai mixé le son de la cetera dans mon Eleven Rack avec un micro placé au devant, enregistrés en simultané. Je voulais absolument avoir un système de branchement si je dois jouer quelque part, mais en respectant au maximum la lutherie, et c’était le parfait compromis.

parchemin rosace cetera canonica

Le motif du parchemin de la rosace, qu’on retrouve sur le collatéral de l’église de la Canonica.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Ugo Casalonga pour son travail minutieux et passionné pour fabriquer ma cetera. Je ne peux que vous engager à découvrir son travail, il fabrique tout un tas d’instruments anciens en plus des cetere, allez faire un tour sur le site de son atelier Casa Liutaiu.

Un livre encyclopédique extrêmement complet retraçant toute l’histoire de la cetera corse, des témoignages, des connaissances techniques et musicales, et tout ce qu’on peut trouver aujourd’hui dessus paraîtra bientôt, édité par Midò Muzziotti et Petru Cerutti, deux éminent musiciens corses et joueurs de cetera. Il faudra suivre cela de très près.

Et je m’adresse aux corses qui liront cet article : Jouez de la musique, fabriquez-vous des instruments de notre Île, le bon moment c’est maintenant car nous avons tous le devoir de faire vivre et de transmettre notre Culture. À populu fattu, bisonga à marchjà.

Et je vous laisse avec quelques extraits de presse en bas de page.

Et merci à Riki le Plectrier pour son médiator en pierre, parfait sur les chœurs doubles.

EXTRAITS DE PRESSE

U svegliu  Tallunincu a présenté dernièrement une magnifique exposition et démonstration d’instruments de musique traditionnelle corses. À cette occasion, l’association a fait appel à un véritable spécialiste en la matière, Ugo Casalonga. Ce dernier est né en 1964 à Ajaccio. Très jeune il commença à travailler chez un ébéniste puis chez un luthier à Pigna. Dès 1983 il fabrique sa première cetera. Pour se perfectionner il quitte alors son île pour Paris, puis revient à Corte à l’atelier Arte di a Musica a Pigna.

Toujours avide de s’améliorer il repart pour un stage à Vérone à l’atelier Formentelli, où il se forme à la facture de clavecin. Fabrique, copie, facture de clavecin, de cetera sarda, instruments pour groupes, Ugo Casalonga dispose de plus d’une corde à son arc. Il s’intéresse tout particulièrement à la cetera dont le plus vieil exemplaire daterait de 1662, elle est restée en usage jusque dans les années 1930, puis est remplacée progressivement par la guitare et la mandoline. Une dizaine d’instruments on été découverts en Corse en assez bon était et les accords ont pu être reconstitués grâce à un manuscrit. Ce talentueux artiste luthier a présenté à un nombreux public ses magnifiques instruments : cialamella (cialamedda), pifàna, cetera… et a expliqué leur fonctionnement. Ugo Casalonga donne actuellement des cours à la Casa Musicale de Piagna.

Corse-Matin, mardi 5 août 1997.

Le luthier Ugo Casalonga et sa cetera « Hélios ».

Sauvée de la disparition, la cetera, instrument traditionnel à 16 cordes se rapprochant du cistre, renaît à la musique corse. Dans le jolie petit village de Pigna, sur la placette qui domine la douce campagne balanine, les vibration de la cetera se mêlent parfois au bêlement des brebis. Dans son atelier de lutherie, Ugo Casalonga a retrouvé les gestes d’antan. Son père, Toni, avait lancé le mouvement en faisant du village le siège de l’association E Voce di u Cumune, qui coordonne plusieurs structures vouées au développement musicale corse. Dans les années 70, celles de la réappropriation culturelle, le sort de la cetera inquiète quelques passionnés. L’instrument a quasiment disparu, et plus personne n’est capable d’en fabriquer.

Après d’importantes recherches, 12 exemplaires seulement sont retrouvés, en plus ou moins bon état, dont le plus vieux date du XVIIe siècle. Il est temps d’intervenir. La première copie est réalisée en Italie en 1976. Sur ce modèle, le jeune Casalonga, alors en formation avec l’ébéniste de Pigna, va se faire la main. À partir de 1980, il s’oriente définitivement vers la lutherie et se réapproprie progressivement le savoir-faire des anciens maîtres. En quinze ans, plus de 150 ceteras sortiront de son atelier.

La cetera est un instrument à huit cordes métalliques doubles, sur une table d’harmonie plate, plus grand que la mandoline et plus arrondi que la guitare, doté d’un manche large, d’une caisse profonde en poire et de lignes harmonieuses. « Les gens parlent souvent de la guitare corse, mais la cetera est une doublure du cistre, un instrument d’origine orientale dont la famille s’est largement répandue en Europe. On peut la rapprocher de la guitare portugaise, de la citerne suisse-allemande ou du bouzouki irlandais« , précise l’artisan qui ne fait que peu de concessions à la modernité.

Le fond, les éclisses et le manche sont réalisés en noyer local, la table d’harmonie en épicéa, les touches en ébène, les chevilles en buis ; l’huile de noix est préférée au vernis ; les mécanismes se font les plus discrets possible. La découverte de livrets de tablature du XVIIe siècle (essentiellement des pièces d’inspiration italiennes, simples et courtes, de type menuet) a permis de reconstituer fidèlement la table d’accord de cet instrument, autrefois habitué à porter les sérénades, accompagner les chants populaires et faire danser le peuple corse.

Aujourd’hui, si la cetera a retrouvé ses vibrations longues et médiévales, l’instrument n’est pas encore complètement sorti du musée. « Pour vraiment faire revivre la cetera, il faudrait qu’on s’en serve dans le rock ou la variété, comme c’est le cas pour la vielle à roue ou la cornemuse« , estime Ugo Casalonga, conscient du chemin à parcourir. En attendant, mélangé aux musiques du monde entier, le son de la cetera accompagne régulièrement les fêtes de la Casa musicale.

Le printemps de la cetera, Carnets de voyage.

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