IA musique, quelle utilisation éthique?
Les outils d’intelligence artificielle ont totalement bouleversé le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui, et les domaines artistiques ne font pas exception. Les IA musique sont aujourd’hui capables de créer des mp3 ressemblant à s’y méprendre à de vrais morceaux crées par de vrais humains, et inondent petit à petit le marché du streaming, car elles sont devenus un moyen de production de masse ; et donc de gagner de l’argent en masse.
Souvent confondus avec une intelligence « intelligente », douée de raison, les capacités supposées des IA sont nourries par tous les fantasmes ayant alimenté notre culture populaire grâces aux œuvres de SF ; HAL 9000 de 2001 l’Odyssée de l’Espace, Jarvis de Iron Man, la redoutable IA de Terminator… les exemples sont légion.
Et force est de reconnaître qu’en voyant que des personnes tombent amoureuses de chat-bots, que des images semblent comprises et analysées en temps réel par nos smartphones, que l’on se pose de plus en plus la question de la véracité de vidéos sur les réseaux sociaux où l’astroturfing est en plein boum, et qu’une musique crée sur mesure est à portée de trois clics et d’un simple prompt, et bien cette « intelligence » fantasmée devient de plus en plus une réalité à mesure que la technologie avance, semaine après semaine.
LES PROBLÉMATIQUES DES IA MUSICALES EN 2025
L’AVÈNEMENT DES IA MUSICALES
Déjà il faut comprendre que le terme intelligence doit être plutôt compris dans son acception anglaise, au sens de data, de masse de données. Ces données sont utilisées pour entraîner un modèle – comme un logiciel – et leur qualité influera grandement sur les performances de ce dernier. Les données qui sont utilisées pour entraîner les différentes IA musicales? YouTube, Spotify, Deezer, Apple Music, autrement dit l’entièreté du contenu audio numérisé de la toile qui a pu être scrappé et utilisé pour entrainer des modèles comme Suno AI, Aiva, Udio, Mumbert… Ces modèles génératifs permettent de produire de l’ordre d’une dizaine de musiques gratuitement par jour, avec une qualité qui trompera le grand public sur son origine numérique. La collecte de ces données ayant mis devant le fait accompli, le Code de la propriété intellectuelle a du s’ajuster au forceps et autoriser la collecte a priori sauf avis contraire.


DROIT D’AUTEUR ET ÉTHIQUE
Et voici déjà un premier point qui pose question, comment des données qui ont été volées à leurs auteurs peuvent-elles être utilisées afin de les concurrencer sur leur propre marché? Et pour profiter à qui?
Les défenseurs de ce système – poussés par un élan humaniste – invoqueront le fait qu’on ne pourrait de toute manière pas faire évoluer cette technologie révolutionnaire si on devait demander l’accord de chaque artiste sont le travail a été utilisé. On repassera pour le respect du consentement. Autre argument, ces modèles fonctionnent comme des artistes : ils s’inspirent des musiques qu’ils ont pu emmagasiner dans leur mémoire pour en créer de nouvelles. Rien n’est spontané, toute production artistique tire ses origines dans les œuvres qui l’ont précédée.
Les défenseurs de ce système – poussés par un élan humaniste – invoqueront le fait qu’on ne pourrait de toute manière pas faire évoluer cette technologie révolutionnaire si on devait demander l’accord de chaque artiste sont le travail a été utilisé. On repassera pour le respect du consentement. Autre argument, ces modèles fonctionnent comme des artistes : ils s’inspirent des musiques qu’ils ont pu emmagasiner dans leur mémoire pour en créer de nouvelles. Rien n’est spontané, toute production artistique tire ses origines dans les œuvres qui l’ont précédée. Rien de nouveau sous l’horizon philosophique « regardez tout le monde le fait, pourquoi pas nous »

Mais qui est donc ce « nous » ?
QUELS GAGNANTS DANS L’HISTOIRE
À qui donc profitent ce genre de modèles? Il faut bien distinguer les entreprises de leurs utilisateurs.
Concernant les géants de la tech cités deux paragraphes plus haut, je trouve pertinent de revenir sur les propos de Mikey Shulman, un des fondateurs de Suno AI, qui avait fait scandale en début d’année en expliquant au micro du podcast 20VC « aujourd’hui ce n’est pas plaisant de faire de la musique, ça prend du temps. Il faut s’entraîner, il faut devenir bon sur son instrument, également dans la production. Je pense que la majorité des gens n’apprécient pas la majorité du temps qu’ils passent à faire de la musique ». Cette personne n’est manifestement pas musicienne car elle ne comprend en rien l’essence du pourquoi on fait de la musique. Les visionnaires technocrates à la tête de ces entreprises ne voient que le produit fini, le mp3, et ce tout ce que l’on peut en faire d’un point de vue économique.
L’utilisateur dispose maintenant de son côté d’un moyen efficace de créer de la musique pour pas cher – voire gratuitement – pour tout contexte qui en nécessite. Musique de fond pour illustrer la production de vidéos, podcasts, présentations powerpoint, fêtes privées… On génère les paroles désirées sur chat GPT 5, copier-coller dans le prompt de notre IA musicale, et le tour est joué. Les voix sonnent parfois étrange, mais ça fait la blague, plutôt bien, et on en demande pas plus. Pas question cependant de se revendiquer musicien, on comprend qu’on ne l’est pas, contrairement à des artistes peu scrupuleux qui signeraient de leur propre nom des textes générés par LLM, voire pire, des musiques entières produites sur Udio ou tout autre modèle génératif.
Je me fais certainement l’avocat du diable, mais quelque part les utilisateurs en sortent gagnants, et j’ai bon espoir que les bons musiciens sauront toujours se distinguer et apporter ce qu’une machine ne pourra jamais apporter : le plaisir de jouer, une vraie patte artistique, le charme des concerts live, de cours de musique, et l’expérience inégalée que représente intrinsèquement le processus créatif. Nous ne sommes pas à l’abri d’une prise de conscience collective de la valeur du musicien et de son métier. C’est typiquement ce que les patrons technocrates et actionnaires de ces start-up tech qui ont le vent en poupe ne seront pas en mesure de comprendre, et on ne leur demande pas. Leurs modèles font déjà face à la pénurie de contenus scrappables sur les plateformes de streaming, et la recrudescence de musiques générées par IA sur celles-ci qui finissent tôt où tard par les biaiser. Et ne parlons pas de l’empoisonnement de l’IA qui devient en 2025 une pratique militante.

Mikey Shulman, CEO de Suno AI au micro de 20VC
L’EXCEPTION DE PARODIE
Étant un grand consommateur d’humour sur internet, je vois toute même une exception plus éthique aux musiques générées par des modèles dans le cadre de contenus humoristiques destinés au réseaux sociaux. Entendre Nicolas Sarkozy chanter le Pénitencier (la chanson de Johnny Hallyday, reprise de House of the Rising Sun de The Animals) à l’annonce de sa condamnation en justice, JDG et Étoiles entonner un duo poignant sur le Téléphone Pleure de Claude François, ou bien mon pêché mignon Helen Keller qui reprend Even Flow de Pearl Jam.
On sait que c’est de l’IA, on en rigole – dans les limites qu’offre l’humour – et la forme n’est que peu importante : quelqu’un a eu l’idée de la vanne, qui a ensuite pris forme grâce à un modèle génératif. Cette finalité s’inscrit dans l’incontournable culture de memes qui s’est développée sur le web depuis une vingtaine d’années. La paternité du meme et les moyens pour le réaliser importent peu, seul faire rire compte.
Bien avant l’avènement de GPT-3, nous avions d’ailleurs utilisé une IA codée en Python qui tourne en local avec mon frère lors de la production de notre vidéo Slash versus Brassens, afin d’extraire la voix de ce bon vieux Georges et de remonter les extraits façon YTP, pour en faire un personnage comique. Ce modèle open-source en question semble moins puissant que ceux d’aujourd’hui en terme de capacités, mais savait déjà en 2022 extraire une voix d’un audio avec sa reverb.
L’ÉTHIQUE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SERVICE DU MUSICIEN
Au milieu des modèles génératifs qui questionnent sur l’éthique de leur utilisation, et sur son moteur économique qui bouleverse le métier d’artiste dans tous les domaines, il existe pourtant des utilisations tout à fait raisonnées des technologies d’intelligence artificielle et réseaux neuronaux, redoutables d’efficacité comme de pertinence, et je vous en propose d’en voir certaines.
CRÉATION DE BACKING TRACKS
Très connus des guitaristes, des chanteurs ou encore des batteurs, les backing tracks sont un outil formidable pour la pratique de tout musicien. Certains groupes, ne pouvant endiguer le phénomène internet, ont d’eux-mêmes sortis les backing tracks entiers de leurs propres morceaux sous forme de CD, à l’instar de Steve Vai et ses naked tracks que je vous conseille de vous procurer de toute urgence.
Beaucoup d’autres backing tracks originaux ont été créés grâce aux données présentes dans les différents jeux Guitar Hero depuis 15 ans mais le phénomène a pris de l’ampleur avec des modèles comme lalal. L’idée est simple : supprimer une voix ou un instrument particulier afin de performer à la place. Qui n’a jamais rêvé de se prendre pour Brian May sur The Show Must Go On, ou de remplacer Louis Johnson sur Billie Jean et d’accompagner un temps Michaël Jackson à la basse?
Ces outils sont d’autant plus intéressants qu’il n’existera pas sur Youtube de backing track de son morceau niche préféré (Sweet Water de Bryan Beller, mais je m’égare). Toute utilisation personnelle semble équitable, car elle favorise grandement le travail de son instrument et le plaisir de jouer, sans nuire d’une certaine manière aux artistes en question.
AIDE AU RELEVÉ DE MORCEAUX
Imaginons qu’on veuille se jouer la partie guitare de notre morceau favori, mais la guitare en question est sous-mixée même si on la distingue un peu. Ou bien on veut se refaire tout la prod d’un autre morceau pour le plaisir, et la basse est ostensiblement inaudible. Voire encore, on ne comprend pas pourquoi le pont de Evry Breath You Take sonne si magique ; est-ce l’arrangement, la production? Certains modèles d’IA sont redoutablement utiles séparer les instruments d’une piste audio, permettant au minimum d’extraire la voix comment joue on l’a vu, mais aussi tout groupe d’instrument : cuivres, clavier, guitare, basse, cordes frottées ou “autres” symbolisant tout ce qui ne rentrera pas dans les catégories du modèle en question.
Moyennant une dose raisonnable d’artefacts audio, chaque modèle saura extraire les stems d’un fichier audio et permettra ainsi de mieux entendre ce qu’il s’y passe là où nos oreilles peuvent échouer, pas seulement faute d’entraînement ou de capacités mais simplement à cause d’un mix désavantageux. De la même manière que les vidéos de concerts apparues sur YouTube dans les années 2010 aident à relever les performances des artistes et ont été une véritable révolution pour les musiciens qui ponçaient il n’y a pas si longtemps cassettes et vinyles, des IA comme Moises ou Splitter sauront être de solides outils pour nos relevés.
ASSISTER LA COMPOSITION
Dans l’idée de ne pas s’arrêter à leur forme clef en main qui mâche tout le travail, les modèles génératifs pourraient tout à faire être une source acceptable d’inspiration pour créer mélodies, accords, riffs et grooves. La question d’où situer le curseur de l’acceptable dans l’utilisation des IA dans le processus créatif est propre à chacun. Il me semble toutefois important de garder de l’humain au centre du processus créatif, sinon quelle valeur accorder à quelque chose que tout le monde peut créer d’un simple prompt?
C’est aussi la position de la Sacem, qui a tranché « la musique générée entièrement par un outil d’intelligence artificielle n’est pas protégée par le droit d’auteur et ne peut être déclarée à la Sacem ». Il faut cependant qu’il y ait un apport créatif humain afin que le contenu puisse prétendre à cette protection. La Sacem en appelle également à plus de transparence dans ces pratiques, tant du côté des artistes que des fournisseurs des outils en question.

CONCLUSION
La question de l’origine des données d’entraînement pour tous les modèles se pose toujours, et demeurera probablement opaque encore longtemps, même dans le cas des utilisations plus éthiques de ces outils qui ont éclos dans notre ère technologique. Avant que les usages fassent jurisprudence et que les différentes juridictions finissent de trancher sur les questions cruciales de propriété intellectuelle, et surtout de réguler ces mêmes usages, il convient à chacun de questionner son propre rapport à l’emploi de ces technologies, tant sur leur puissance en tant qu’outil dans un cadre éthique que dans ses abus.
Aucune IA ni aucun LLM n’a été utilisé dans la rédaction cet article, mis à part sa miniature.
Article qui n’est pas sponsorisé.